Avec La Zone d’Intérêt, Jonathan Glazer signe un film glaçant sur l’indicible
Tout commence, et tout termine dans le noir. À ce détail près, on pourrait rapprocher La Zone d’Inté...
Tout commence, et tout termine dans le noir. À ce détail près, on pourrait rapprocher La Zone d’Intérêt d’Under The Skin, l’avant-dernier long-métrage de Jonathan Glazer, dont la noirceur envahissait l’écran jusqu’à l’engloutir complètement, comme Scarlett Johansson engloutissait les hommes – ses victimes – dans son univers aussi sombre que poisseux. Pourtant, le cinéaste britannique ne semble pas rapprocher son nouveau film, récompensé par le Grand Prix du festival de Cannes en 2023, du genre horrifique. C’est bien sur ce point où l’on diverge. Diffusé ce mardi 5 novembre 2024 sur Canal+, La Zone d’Intérêt s’attache à raconter le quotidien de l'officier nazi Rudolf Höss, qui vivait, avec sa femme et ses enfants, à quelques mètres du camp d’Auschwitz. Un quotidien atrocement banal et presque doux, tant il ignore, ou préfère ignorer, les horreurs qui se déroulent si près. Rencontré à l’occasion d’une projection exclusive au Mémorial de la Shoah, le réalisateur explique le secrets de confection de son nouveau film.
Jonathan Glazer, à la recherche de l’authentique
Imaginez que vous vous trouvez dans votre lit. C’est le cœur de la nuit, vous dormez paisiblement. Votre portable, dont les vibrations ne cessent de retentir, vous tire de votre sommeil. La lumière bleue vous aveugle un instant, alors que vous l’attrapez, avant de voir l’écran se couvrir de notifications venant d’une seule personne : Jonathan Glazer. C’est sans doute une scène que les historiens d’Auschwitz qui ont accepté de collaborer avec le cinéaste ont dû vivre. Piotr Cywinski, directeur du musée d’Auschwitz, plaisante : “Ce n'était pas des centaines, mais quelques milliers de mails, de coups de téléphone, de SMS, de Messenger… À un certain moment, les historiens ont commencé à devenir dingues !”. Il se souvient même de certaines interrogations du réalisateur : “Si Höss dit à sa femme ceci, est-il possible qu'elle lui réponde comme ça ?” ou encore “Si on met une radio d'époque dans l'étagère sur son bureau, est-ce qu'il faut prendre ce modèle-ci, ou bien le modèle arrivé deux mois plus tard ?”.
Si La Zone d’Intérêt est l’adaptation du livre éponyme du Britannique Martin Amis, il s’en distingue par un premier choix de narration éloquent, synonyme de l’obsession de Jonathan Glazer. Là où le livre d’Amis explorait trois points de vue différents dans sa mise en scène d’Auschwitz, le cinéaste préfère conserver celui de Rudolf Höss, le chef de camp qui vit avec sa famille à quelques mètres seulement des détenu·es. En effet, l’idée qui hante Glazer est avant tout celle du bourreau – une narration encore aujourd’hui inédite dans la multitude de récits et d’œuvres autour de la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, Rudolf Höss incarne une porte d’entrée pour le réalisateur, vers la vie des soldats autour du camp d’extermination le plus célèbre de la Shoah. Démarre alors un travail de longue haleine, au cœur des archives du musée d’Auschwitz, de fouille archéologique à la recherche de tous les témoignages existants sur la famille Höss, mais aussi sur le personnel de maison qui vivait alors avec elle.